Point de rencontre entre Orient et Occident, berceau de civilisations autrefois florissantes et aujourd’hui disparues, à l’instar des Parthes ou des Sogdiens, champs de bataille pour les tribus nomades et oasis prospère pour les sédentaires, l’Asie Centrale a été tout cela et bien plus encore. Après la longue période soviétique qui a quasiment fermé au monde occidental la plupart des pays de la zone, l’Asie Centrale est une destination touristique encore peu découverte. Placés au centre de l’actualité par leur proximité avec l’Afganistan, les cinq pays tentent de se demarquer de leur encombrant voisin pour offrir aux voyageurs un bel aperçu de leur patrimoine naturel et historique. Outre les trésors d’architecture et de sites archéologiques, un voyage en Asie Centrale est une veritable découverte des hommes et de leur environnement.
Au coeur de la destination, l'Ouzbékistan offre les plus beaux vestiges architecturaux de la route legendaire avec ses villes etapes comme Samarkand, Boukhara, Khiva, Tachkent, Ferghana, Kokand, Shakhrisabz ou Termez. Mais c’est plus au sud, au Turkménistan, que les vestiges archéologiques des civilisations passées de l’Asie Centrale sont plus présents. Le Kazakhstan et surtout le Kirghizistan ouvrent les portes des cultures nomades qui ont façonné la région au cours des siècles et sont encore vivaces dans les larges steppes de ces deux pays. Le Tadjikistan ravira les amateurs de montagne qui pourront se mesurer au Pamir. En résumé, l’Asie Centrale est prête à satisfaire toutes les envies.
Surtout, ces pays n’étant pas encore accoutumés aux masses de touristes, chaque rencontre reste exceptionnelle. Il faut avoir passé l’après midi dans les tchaïkhanas avec les vieux Ouzbeks concentrés sur leur partie d’echecs, bu du lait de jument fermenté sous la yourte de nomades Kirghiz, éclusé quelques vodkas avec les Russes toujours présents, partagé le chaos des routes ou les soubresauts des trains avec des locaux, discuté sans fin, avec les mains, les yeux et les sourires avec des compagnons de fortune pour saisir la caractéristique première des habitants d’Asie Centrale : leur hospitalité. Tous vous le diront: «Bienvenue en Asie Centrale!»
Les limites géographiques de l'Asie Centrale ont toujours été fluctuantes, vagues et mal définies, au grès des connaissances historiques, géographiques, mais aussi en liaison avec des choix politiques et idéologiques. Dans l'histoire, les dénominations varient selon les critères historiques, culturels, religieux, linguistiques, économiques, géographiques et politiques. On a parfois intégré le Caucase, l'Afghanistan, le Turkéstan chinois (Xinjiang), le Tibet, la Mongolie, la Sibérie, voire la Turquie, la partie septentrionale de l'Iran (Perse), et l'Inde.
Les méthodes de description sont souvent basées sur l'exclusion (en dehors de ), comme par exemple le terme de Transoxiane (au-delà de l'Oxus). Au début du XIXes. on veut éliminer le terme de Tartarie, au moment où l'Etat-nation apparaît en Europe et la réflexion ethnographique.
C'est A. von Humboldt, le géographe allemand qui a aussi créé le terme de "Route de la Soie", qui ,adopte définitivement le terme d'Asie Centrale dans un livre publié en 1843, rapidement concurrencé par celui d'Asie moyenne (qui sera utilisé par les Russes plus tard), ainsi que celui de Turkéstan russe à la fin du XIXe, lorsque les armées du tsar auront conquis cette région et que le "Big Game" entre la Grande-Bretagne et la Russie battra son plein.
L'Asie Centrale s'étend conventionnellement, de la mer Caspienne à l'oasis de Dunhuang sur le rebord est du désert du Taklamakan (dans le nord-ouest de la Chine).
Au sens étroit, elle comprend:
Au sens large, on y inclut:
Éloignée de toutes les mers, l’Asie Centrale a un climat continental, très chaud en été et très froid en hiver (par endroits doux). Sur sa partie septentrionale, de la Volga jusqu’en Mongolie, en passant par le Kazakhstan, s’étend une vaste zone de steppes où le nomadisme pastoral fut le mode de vie le mieux adapté, actuellement en déclin. Cette zone est bordée au nord par la taïga et au sud par des territoires désertiques ou semi-désertiques, avec des oasis. Le Turkménistan est en majeure partie occupé par les déserts du Karakoum (les Sables Noirs) et de Kizilkoum (les Sables rouges). La province chinoise du Xinjiang est constituée de deux dépressions séparées par une chaîne de montagnes, le bassin du Tarim au sud et la Dzoungarie au nord. Le désert du Taklamakan occupe presque tout le bassin du Tarim et la Dzoungarie centrale est également désertique. Plus à l’est, s’étend le désert de Gobi, qui communique avec le Taklamakan.
Au sud-est de l’Asie Centrale, se trouvent les plus hautes montagnes du monde, le Pamir, l’Hindū-Kūsh et l’Himalaya. Toutes comprennent des sommets à plus de 7 000 mètres d’altitude, de même que le Tian Shan, qui sépare le bassin du Tarim de la Dzoungarie. À moins de passer par la zone des steppes, la traversée de l’Asie Centrale nécessite le franchissement de cols situés à plus de 4 000 mètres d’altitude.
De ces montagnes, descendent des rivières qui permettent la pratique d’une agriculture irriguée. Une grande partie de l’Asie Centrale souffre du manque de précipitations. On peut pratiquer l’agriculture dans les steppes, à condition d’irriguer les champs. La surexploitation agricole et la construction de multiples centrales hydrauliques depuis les années 1960 ont massivement drainé les eaux des fleuves Syr-Daria et Amou-Daria ce qui a provoqué un fort assèchement de la mer d'Aral, une véritable catastrophe écologique.
La mer Caspienne baigne le Kazakhistan et le Turkménistan sur leurs frontières occidentales. D’une superficie de 371 000 km2 elle est la plus grande étendue d’eau enclavée au monde. Le Turkménistan dispose de 600 km de côtes sur la Caspienne, alors que le Kazakhistan , avec ses 1884 km d’ouverture sur la mer, peut prétendre à une large majorité des ressources naturelles de cette mer intérieure.
La mer d’Aral avec une supreficie de 66 000 km2 en 1960 était le quatrième plus grand lac de la planète. En 1990 le niveau des eaux avait baissé de 16,5 m, sa surface réduite de moitié, le volume d’eau avait décru des deux tiers et l’eau était quatre fois plus salée. Le catastrophe écologique dont la mer est victime s’étend aux terres avoisinantes ...
Deux puissants fleuves alimentent la mer d ‘Aral (Ouzbekistan et Kazakhstan) et le lac Balkach (Kazakhstan). La Syrdarya et l’Amoudaria appelees Sayhun et Djayhun par les arabes ou encore Yaxart et Oxus par les Grecs prennent leur source dans les Tian Shan et le Pamir.
Le Syrdaria est long de 3551 km. Il naît de la confluence des rivières Kara Daria et Naryn L’Amoudaria est long de 2540 km. Il naît de la confluence du Vakhch et du Pandj, qui prend sa source dans le lac Zorkoul.
Le Zerafshan, long de 741 km, prend sa source dans les monts Turkéstan. Il coule entre les monts Turkéstan et Zerafshan (Tadjikistan), frôle Samarkand et vient s’éteindre dans la région de Boukhara.
Le Tchou et le Talas prennent leur source dans les monts Kirghiski et Talaski (Kirghizistan) et vont s’éteindre quelques centaines de kilomètres plus loin dans les steppes kazakhes.
Le Kizil Sou, qui prend ses sources dans les chaines Alaiski (Kirghizistan), descend vers Kashgar à l’Est et va s’éteindre dans le désert Taklamakan (Chine).
Le canal du Karakurum, au Turkménistan est le plus grand canal artificiel au monde. Il est long de 1500 km, dont 450 km sont navigables. Ce canal, qui détourne une partie du cours d’Amoudaria, permet d’irriguer une grande partie des terres arables du Turkménistan.
Le Pamir et les Tianshan sont le chateau d’eau des republiques d’Asie Centrale. Ces massifs montagneux possedent des centaines de lacs d’eau d’eau douce, mais aussi d’eau salee. Mous ne presantons que les plus importants.
Le lac Issik Kul est situé dans les Tianshan entre les chaines Terskei Ala-Too et Koungrei Ala-Too, a 1600 m d’altitude. Sa surface est de 6280 km2 , sa profondeur maximum de 702 m. C’est le second plus grand lac de type alpin au monde après Titicaca. Il était l’une des zones de villégiature pour toute l’Union soviétique. Il est alimenté par 102 cours d’eau. Le lac Balkhash, au Kazakhstan, est avec ses 17400 km2 le quatrième plus grand lac d’Asie. Ce lac peu profond présente la particularité d’être salé dans sa partie orientale, et en eau douce à l’ouest.
Le lac glaciaire Merzbacher, dans le Tianshan central, est unique au monde. Son dégel rappelle des scènes qui ne se rencontrent habituellement que dans l’océan Arctique. Durant quelques jours, généralement au mois d’août, son dégel forme d’énormes icebergs qui vont se jeter dans la rivière Inilchek.
Les lacs Aïdarkoul, Touzkan et Arnasaï se sont formés au début des années 1970 dans le désert Kyzylkum, dans la région de Djizzakh et Navoi ( Ouzbékistan) et depuis leur superficie ne cesse de croître. Ils ont été crée à la suite de l’ouverture au Kazakhstan en 1969, du reservoir de Tchardara qui retient les eaux de la Syrdaria. Leur eau est salée. Le volume du lac Aydarkul dépasserait aujourd’hui celui de la mer d’Aral.
Le lac Karakul, dans le Pamir, est situé a 3914 m au dessus du niveau de la mer. C’est l’un des plus grands lacs de haute altitude de planète. Son eau est salée, sa superficie est de 380 km2.
Le lac Sarez situé a 3200 m au dessus du niveau de la mer, et il a 70 km de longueur.Il est formé dans la vallée de Mourghab, dans le Pamir, à la suite d’un tremblement de terre et de l’éboulementd’Oussoï.
Le lac Sarykamish situe à la frontière entre le Turkménistan et l’Ouzbékistan, à 200 km au sud de la mer d’Aral. Ce lac est en partie alimenté par l’Amou Daria.
Le lac Tenghiz au nord du Kazakhstan est un grand lac d’eau salée, désormais inclus dans un parc destiné à protéger les centaines d’espèces d’oiseaux, dont les flamants roses, qui viennent y trouver le refuge.
Il existe aussi trois grands lacs artificiels: le Kaïrakkum, aur le cours de Syrdaria dans la vallée de Ferghana, au Tadjikistan, le Toktogoul, sur le cours du Naryn au Kirghizstan et le Nurek sur le cours de Vakhch au Tadjikistan.
1991: cinq républiques - le Kazakhistan, le Kirghizstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan – accèdent à l'indépendance lors de l'effondrement de l'Union soviétique. Le moment est historique et rompt avec des décennies de tutelle tsariste puis soviétique. Les cinq pays ne sont pourtant pas préparés à l'ampleur de ces bouleversements : les amarres rompues avec Moscou et la manne financière désormais tarie engendrent de multiples complications que seul un pouvoir renforcé semble parvenir à juguler, au mépris de tout processus démocratique. Depuis le 11 septembre 2001, les pouvoirs locaux ont beau jeu de renforcer leur autoritarisme laïque, présenté comme l'unique remède susceptible de faire barrage à l'islam radical. Cet alibi est d'autant plus efficace que l'héritage soviétique inspire encore largement les relations entre État et société. Au printemps 2005, la «révolution des tulipes» au Kirghizstan a semblé ouvrir de nouveau le jeu politique. Les rendez-vous électoraux que les pays de la région ont pris avec leurs citoyens en 2006 et 2007, malgré les multiples esquives et diversions des pouvoirs en place, pourraient peut-être, eux aussi, annoncer une nouvelle phase de sortie du système post-soviétique, plus ou moins turbulente suivant les situations politiques, économiques et sociales de chacun de ces jeunes États.
Depuis la disparition de l’URSS, l’Asie Centrale, vaste région de près de 4 millions de km2 et peuplée de plus de 80 millions d’habitants qui est constituée du Kazakhstan, du Kirghizstan, de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan, connaît une transition territoriale qui conduit à une reconfiguration de l’espace régional et à une redéfinition des relations entre les sociétés et leur espace. Les transitions économiques, politique et sociale conditionnent une modification des mécanismes de la production d’espace qui donne lieu à une nouvelle géographie, encore largement méconnue, de l’Asie Centrale, à la charnière des mondes russe, iranien, turc et chinois.
Avec les bouleversements géopolitiques qui affectent le continent asiatique depuis deux décennies l’Asie Centrale n’est plus tout à fait cet espace géographique incertain écarté de la communauté internationale, voire même oublié des atlas dont les cartes étaient généralement centrées sur les territoires voisins plus lisibles et médiatiques du Moyen-Orient, de l’Inde, de la Chine ou de la Russie. Constituée par les cinq ex-républiques socialistes soviétiques du Kazakhstan, du Kirghizstan, de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan auxquelles il faut ajouter le Xinjiang, région autonome ouïgoure de la République populaire de Chine, cette entité régionale centrasiatique à l’unité pourtant incontestable sur le plan géographique et culturel avait même disparu corps et biens de la géographie classique durant le XXe siècle. En dépit d’une forte cohérence humaine fondée sur la communauté des langues turciques, une religion partagée, l’islam, et un passé commun forgé autour de la culture turco-iranienne, cette Asie Centrale a été marginalisée et découpée sous l’effet de la poussée impérialiste russe et chinoise au XIXe siècle puis par l’avènement des deux géants communistes, l’URSS et la République populaire de Chine. Eclipsé par la tutelle de ces grandes puissances, notre ensemble régional devenait un « hinterland amorphe » (Aubin, 1990), une marge d’empires qui n’avait guère de résonance et de signification dans le concert mondial. Cet enfermement politique a culminé du temps de la Guerre froide et lors du conflit sino-soviétique, période où la région transformée en glacis militaire est restée isolée des regards extérieurs par des frontières hautement verrouillées et surveillées. Mais cette marginalisation découle aussi de facteurs géographiques. Avec un peu moins de 80 millions d’habitants pour 5,6 millions de km2 on tient généralement l’Asie Centrale pour un territoire du vide, souvent mise en opposition avec les puissances démographiques environnantes comme la Chine orientale et l’Inde. Au peuplement lacunaire éparpillé en archipels parmi l’immensité des steppes et des déserts s’ajoute l’effet de l’enclavement. La position continentale au cœur de l’Eurasie n’a guère contribué à faire de la région un des hauts lieux des échanges mondiaux, l’Asie Centrale constituant en effet le plus vaste ensemble d’Etats enclavés du monde (Cariou, 2007). L’enclavement régional reste encore un handicap à vaincre.
Toutefois la région n’a pas toujours été cet «angle mort» géographique, et son passé nous révèle qu’elle a bien au contraire été un carrefour, une terre de passage et d’échanges entre la Chine et l’Europe. De l’Antiquité au Moyen Age l’Asie Centrale a participé à l’essor des économies-monde, au sens braudélien du terme, grâce à l’écheveau des pistes caravanières et aux illustres cités marchandes de la Route de la soie (Boulnois, 2001). Après cet Age d’or, la région sombrera dans un isolement profond et durable à partir du XVIe siècle avec la généralisation du transport maritime et l’insécurité liée aux troubles politiques.
Mais depuis peu l’Asie Centrale réapparaît dans le champ des observateurs internationaux et des géographes à la faveur des retournements géopolitiques qui ont affecté les deux grandes puissances communistes. En premier lieu, la disparition brutale de l’URSS en 1991 a entraîné la création de cinq républiques indépendantes, faisant ainsi entrer l’Asie Centrale ex-soviétique dans un processus de décolonisation. A l’opposé, l’ouverture de la République populaire de Chine à l’économie de marché dans les années 1980 et la mise en place du Programme de développement de l’Ouest chinois en 2000, ont accéléré le processus de colonisation du Xinjiang amorcé depuis 1949. Indépendances et décolonisation difficile côté Asie Centrale post-soviétique, intensification de la sinisation et montée du séparatisme ouïgour côté chinois, tout concours à faire de la région un espace en recomposition. C’est donc un nouveau cycle historique qui s’amorce où la redéfinition des équilibres politiques s’accompagne de multiples dynamiques géographiques dont certaines sont abordées dans ce dossier. Pour les jeunes républiques nées de l’implosion de l’URSS, l’heure est à la construction et à l’affirmation de nouveaux Etats-nations (Laruelle et Peyrouse, 2006). Celles-ci tentent de rompre avec l’isolement dans lequel elles ont été durablement confinées par l’ancienne puissance tutélaire en s’ouvrant sur la scène internationale. Leur intégration dans le marché mondial se fait par l’exportation de matières premières, principalement les hydrocarbures, l’or, l’uranium et le coton dont la rente est le plus souvent accaparée au profit des pouvoirs politiques à la tête d’Etats autoritaires. Au Xinjiang, le gouvernement chinois travaille activement à l’intégration économique et culturelle d’une périphérie constituée de minorités nationales turcophones et par ailleurs riche en ressources naturelles. La sinisation de la région autonome vise à sécuriser cette marge jugée turbulente, à en exploiter les matières premières énergétiques et à l’ouvrir sur l’Asie Centrale post-soviétique où la Chine entend bien occuper la place laissée vacante par la disparition de l’URSS.
Cette nouvelle situation géopolitique s’avère particulièrement fertile pour les géographes soucieux de saisir et de comprendre les évolutions qui affectent l’ensemble de l’environnement géographique centrasiatique. Si durant la période soviétique les bâtiments religieux d’Asie Centrale soviétique étaient détruits ou détournés de leur fonction afin de répondre aux préceptes de l’idéologie communiste, aujourd’hui les jeunes républiques indépendantes ne se soucient guère de protéger les édifices de la période coloniale et soviétique qui disparaissent progressivement du paysage urbain. En revanche les monuments historiques de la période précoloniale font l’objet d’une attention particulière dans la mesure où ils constituent des symboles architecturaux propres à servir l’idéologie post-soviétique. Ainsi en Ouzbékistan, la mise en valeur et la restauration portent particulièrement sur les monuments historiques de la période Timouride (XIV-XVIe s.) qui témoignent du prestige et de la puissance des souverains centrasiatiques d’alors. Ces choix sélectifs doivent permettre la construction d’une mémoire collective et d’un passé commun et servent de justification historique à des Etats qui n’ont pas plus de vingt ans d’existence. Au Xinjiang, les vieilles villes aux allures de médina, symbole culturel de la minorité nationale ouïgoure, sont détruites par pans entiers, remplacées par un nouveau modèle urbain synonyme de «modernisation» et de sinisation. Quelques quartiers et édifices historiques comme les grandes mosquées sont néanmoins conservés mais dans un but de valorisation touristique. Ainsi la ville centrasiatique détruite, transformée, reconstruite se recompose au gré des valeurs politiques et de l’idéologie que cherchent à faire triompher les différents régimes autoritaires qui se partagent la région.
Un autre phénomène géographique remarquable concerne l’évolution des populations. Si durant la période tsariste et soviétique la région a connu un excédent migratoire dû à la politique coloniale et à son rôle de terre de relégation pour les populations et les peuples punis, la situation actuelle témoigne d’une inversion des dynamiques migratoires. Depuis 1990 près de 5 millions de personnes, pour l’essentiel des Russes, ont quitté l’Asie Centrale post-soviétique; ce qui tend à renforcer l’homogénéité ethnique de chaque Etat où la proportion de la nationalité éponyme s’accroît sensiblement. Le départ des russophones est étudié sous l’angle de la crise économique et de l’altération de leur statut social et politique sous l’effet de la construction et de l’affirmation des Etats et des nations post-soviétiques.
L’Asie Centrale chinoise renvoie quant à elle à une situation démographique et historique inverse. L’actuelle situation de la région autonome illustre bien ce concept de «nouvelle frontière» dans la mesure où les flux de migrants Han investissent et organisent progressivement ce territoire traditionnellement occupé par des populations locales turcophones qualifiées de minorités nationales. C’est à la faveur de l’essor d’un réseau ferroviaire et routier moderne que se diffuse la sinisation créatrice de corridors de développement où se multiplient les fronts pionniers agricoles, industriels et urbains fondés sur la valorisation des ressources naturelles. Il en résulte un bouleversement des équilibres ethniques où les minorités nationales sont en passe d’être minoritaires sur leur propre territoire. Avec la maîtrise de cette périphérie, la Chine entend faire du Xinjiang une tête de pont stratégique permettant la diffusion de l’influence chinoise au cœur de l’Asie. Après l’ouverture de sa façade littorale, la Chine entrebâille une nouvelle fenêtre, continentale cette fois, sur son hinterland centrasiatique.
Ce que l'on appelle le Grand Jeu a opposé, au XIXe siècle, les intérêts géopolitiques russes et anglais, notamment en Asie Centrale, et est considéré comme un épisode majeur des relations internationales de cette époque. Pratiquement inconnu en France, à l'exception de quelques spécialistes, le Grand Jeu s'avère pourtant fondateur et son impact sur les représentations politiques dans les élites russes, britanniques, américaines, mais aussi indiennes et chinoises ne doit pas être sous-estimé. Mais ce que les Anglo-Saxons ont baptisé le «Grand Jeu» et les Russes le «Tournoi des ombres», c'est aussi une incroyable épopée, presque romanesque, qui a fait émerger une galerie de portraits d'aventuriers, d'explorateurs, de militaires et d'espions qui ont inspiré la littérature comme le cinéma. Aujourd'hui, le Grand Jeu redevient d'une brûlante actualité. Les affrontements, plus ou moins secrets, qui ont lieu en Asie Centrale et autour de la mer Caspienne renvoient à ceux du XIXe siècle. De nouveau, l'Afghanistan et ses marges deviennent l'objet de toutes les convoitises, des lieux d'affrontements par personnes interposées et la scène de complots multiples.
En définitive, l’évolution des grands équilibres géostratégiques au cours des deux dernières décennies a projeté l’Asie Centrale dans une nouvelle ère de transition synonyme de turbulences et de changements. Que ce soit la renaissance politique et identitaire de l’Asie Centrale post-soviétique ou l’intégration politique et l’assimilation culturelle de l’Asie Centrale chinoise, les deux trajectoires, pour le moins opposées, témoignent cependant d’une recomposition profonde qui affecte tous les champs de la géographie ce qu’attestent les regards de géographes présentés dans ce dossier.
Le néolithique de l'Asie Centrale remonte à une période reculée, puisqu'on trouve des communautés d'agriculteurs sédentaires dès le VIIe millénaire av. J.-C. dans la région du Kopet-Dagh : c'est la culture de Djeitun. La culture de Namazga, représentée sur les sites de Namazga-depe, Anau et Altyn-depe, lui succède entre les VIe millénaire av. J.-C. et IIIe millénaire av. J.-C..
L’Asie Centrale constitue un véritable carrefour des civilisations. Ses plus anciens habitants identifiés clairement sont des peuples indo-Européens venus de l’ouest. Il s’agit des Tokhariens, qui ont vécu dans le bassin du Tarim au moins depuis l’an -2000, puis des Iraniens, qui ont occupé durant le premier millénaire avant l'ère chrétienne toute l’Asie Centrale, à l’exception du bassin du Tarim oriental et de la Mongolie. On peut également citer les Indo-Aryens, proches parents des Iraniens. Ils ont vécu en Bactriane aux alentours de l’an -2000 avant de conquérir l’Inde du Nord, à partir de -1700. Il faut sans doute voir en eux les représentants de la culture du complexe archéologique bactro-margien (Bactro-margian archeological complex, BMAC). Plus au nord, la culture d'Andronovo s'épanouit à cette même époque.
Les régions connues des anciens Grecs étaient la Bactriane, à cheval entre l’Ouzbékistan et l’Afghanistan, la Sogdiane, autour de Samarcande, et la Chorasmie (ou Khwarezm) au sud de la mer d'Aral. Tous ces noms sont d’origine iranienne.
Dans ces trois régions, il a existé depuis une époque très reculée de brillantes civilisations sédentaires, dont les fondateurs ne sont pas identifiés. En s’installant dans ces régions, les Indo-Aryens, puis les Iraniens, ont sans doute adopté en partie le mode de vie des autochtones, qui étaient sédentaires et s’adonnaient à l’agriculture et au commerce. Un peuple iranien, les Sogdiens, a notamment fondé la cité de Samarcande, dont la beauté a été remarquée par Alexandre le Grand. Plus au nord, les Iraniens étaient nomades. Ils sont connus sous le nom de Saces et ils occupaient en particulier tout le Kazakhstan et le nord de l’Ouzbékistan. Ils ont laissé des tombes qui datent du Ier millénaire av. J.-C.
L’opposition entre les nomades et les sédentaires est une constante de l’histoire de l’Asie Centrale. Les nomades, de caractère guerrier, effectuaient des razzias qui obligeaient les sédentaires à se retrancher derrière des fortifications. Ils se regroupaient parfois en empires qui étaient capables de faire des terribles ravages.
Les Tokhariens, sans doute originellement nomades, se sont sédentarisés dans le bassin du Tarim au moins dès l’an -500 et ont adopté une agriculture irriguée. D’autres Tokhariens, qui vivaient dans l’ouest du Gansu, sont restés nomades et ont fondé le premier empire connu de l’Asie Centrale. Ils étaient appelés Yuezhi par les Chinois.
La Route de la Soie traversait l’Asie Centrale. On dit souvent qu’elle a été ouverte au Ier siècle av. J.-C., ce qui est inexact. La présence de soie chinoise est attestée en Bactriane dès l’an -1500. En 1918, on a trouvé en Dzoungarie des monnaies datant du IIIe siècle av. J.-C. et provenant de Panticapée, ville grecque située à l’est de la Crimée. La vérité est que l’Asie Centrale est une terre d’échanges depuis des temps immémoriaux.
À partir des derniers siècles avant J.-C., l’histoire de l’Asie Centrale est marquée par l’avancée de nomades mongoloïdes, originaire de la Sibérie et de la Mongolie orientale, qui assimilent peu à peu les Indo-Européens ou les font reculer. C’est ainsi qu’entre -174 et -161, les Xiongnu obligent les Yuezhi à quitter le Gansu. Une deuxième étape très importante est la fondation de l’empire des Turcs Bleus ou Köktürks (Tujue en chinois), en 552, qui soumet rapidement presque toute l’Asie Centrale, jusqu’en Sogdiane et en Bactriane.
Les Turcs Bleus sont suivis en 744 par les Ouïgours, de langue également turque. Une offensive des Kirghiz, un autre peuple turc, les oblige en 840 à évacuer la Mongolie. Ils se dirigent vers le Gansu et le bassin du Tarim, où ils assimilent les Tokhariens. À l’ouest de l’Asie Centrale, le huitième siècle est marqué par l’arrivée des Arabes, qui y apportent l’islam. Ils font disparaître une religion iranienne fondée probablement en Bactriane, le zoroastrisme, ainsi que le bouddhisme, arrivé en Asie Centrale au début de l'ère chrétienne. Plus que les Sogdiens et les Bactriens, les Tokhariens étaient devenus des bouddhistes fervents. À leur arrivée dans le bassin du Tarim, les Ouïgours se convertirent au bouddhisme, mais peu après, ils devinrent musulmans comme presque tous les peuples turcs.
Le manichéisme et le christianisme nestorien ont également fleuri en Asie Centrale au Moyen Âge:
C’est au début du deuxième millénaire que des tribus turques atteignirent l’Asie mineure, où l’on parlait alors le grec. Ce territoire deviendra la Turquie. À cette même époque, des tribus mongoles occupèrent l’actuelle Mongolie. Leur unification fut l’œuvre de Gengis Khan, qui fonda le plus grand empire que l’humanité ait connu. Toutefois, cet empire ne dura pas longtemps et la langue mongole ne parvint à s’imposer dans aucun territoire conquis. Tout au contraire, la langue turque était durablement installée dans la majeure partie de l’Asie Centrale.
Les peuples turcs actuels (Kirghiz, Ouzbeks, Kazakhs, Turkmènes, Ouïgours) ne sont arrivés qu’à une date assez récente. Les Ouzbeks, par exemple, se sont installés en Ouzbékistan à partir du XVe siècle. Ils ont dû affronter les descendants de Tamerlan, dernier grand conquérant de l’Asie Centrale, qui était également un Turc. Les Ouïgours actuels ne parlent pas la langue de leurs ancêtres installés au Xinjiang après l’an 840, mais celle des Ouzbeks.
De la langue sogdienne, il ne reste plus qu’un dialecte parlé dans quelques villages, sur les rives de la rivière Yaghnob. Elle a cependant donné beaucoup de vocabulaire au persan moderne. Le tadjik est une variante du persan moderne. Il reste une autre langue iranienne en Asie Centrale, le pachto, parlé dans une partie de l’Afghanistan, ainsi que quelques dialectes archaïques utilisés par de petites ethnies, comme le wakhi.