Miniature


La Miniature à l'époque Timourides

L’ère timuride du XVe siècle, a été l une des plus brillantes époques de l’histoire de la miniature. On peut constater tout au long du siècle un perfectionnement croissant de son langage artistique, qui entraîna une véritable floraison de cette forme de représentation.

Alors qu’au XIVe siècle, les relations entre les différents centres picturaux étaient extrêmement réduites, les contacts se multiplièrent au cours du XVe siècle. La migration des maîtres, qui commença lorsque Timur s’empara de Bagdad (1393 et 1401) et de Tabriz (1402) — deux villes qui avaient possédé des écoles picturales au XIVe siècle — n y fut pas étrangère. Timur fit déporter à Samarcande, sa capitale, les plus grands artistes des pays conquis pour décorer ses palais et réaliser des manuscrits de grande qualité. Le célèbre miniaturiste Abd al-Hayy de Bagdad dirigea ainsi la kitab-khana (la bibliothèque) de Samarcande et son atelier de manuscrits. Si Ton en croit Dust Muhammad, un historien du XVIe siècle.

Abd al-Havy servit de modèle à tous les maîtres de Samarcande. Il ne nous a mal-heureusement laissé aucune œuvre et nous ne possédons aucune miniature de Samarcande remontant aux premières années du XVe siècle. Mais nous pouvons nous faire une idée des débuts de la peinture locale et du style d’Abd al-Hayy en observant les œuvres de Junayd Sultani, le maître de Bagdad. Celui-ci fit en effet son apprentissage avec Abd al-Hayy, auprès du même professeur, Chams al-Din. Au Moyen Âge, les membres d’une même école présentaient toujours certaines caractéristiques stylistiques communes, malgré l’individualité de leur facture. Les réalisations des écoles timurides qui naquirent à Samarcande, Chiraz et Hérat, dans les premières décennies du XVe siècle s’inspiraient des principes de représentation de paysages et d’architectures de Junayd Sultani, ainsi que de ses schémas de composition. La structure échelonnée de l’image caractérise ainsi la peinture de Bagdad de l’époque de Junayd Sultani au même titre que l’illusion spatiale engendrée par une disposition ovale et diagonale des éléments de composition. Il convient également de relever la fréquence des lignes diagonales et le remarquable rayonnement poétique des images.

L’évolution de ce style apparaît bien à travers les miniatures réalisées dans les premières décennies du XV* siècle à Chiraz, dans la kitab-khana des petits-fils de Timur, le sultan Iskandar (1409-1415) et le sultan Ibrahim (1415-1435). Les illustrations des deux manuscrits de L’Anthologie de la poésie (1410/1411) sont tout à fait exemplaires de leur époque. Elles se caractérisent en effet par la synthèse entre la représentation de l’espace typique de l’école de Bagdad et la planéité de 1 école de Chiraz du XIVe siècle. Dès les années 1420, les miniatures de Chiraz révèlent l’abandon progressif des normes picturales de Bagdad. On voit alors s’imposer un nouveau style, inspiré de la tradition de Chiraz et dominé par un système rigoureusement plan et par des compositions limitées à quelques personnages. À la même époque, les sources écrites évoquent l’émigration des maîtres de Bagdad vers Hérat, le nouveau centre de la vie artistique.

Un atelier vit alors le jour à Hérat, dans la kitab-khana de Baysunghur (mort en 1433), un petit-fils de Timur. De nombreux maîtres de grande qualité — calligraphes et artistes - établis auparavant à Bagdad, Tabriz, Chiraz ou Samarcande, travaillaient dans cet atelier. Le style de Hérat porte l’empreinte de ces différents centres. On relève ainsi dans les œuvres des années 1420 une similitude évidente avec la représentation de paysages et d’architectures de Junayd et avec les miniatures de Chiraz des années 1410-1411. Pourtant, on distingue déjà quelques éléments plus singuliers — une précision nouvelle, une flexibilité des lignes, une richesse de coloris et des figures moins allongées que celles de Junayd. La taille réduite des personnages n’a pas été sans effet sur les proportions de la composition : l’espace prend ainsi une dimension nouvelle, une caractéristique qui est sans doute la principale réalisation de l’école de Hérat.

Les œuvres des années 1430, comme le Chahname de 1430 ou Kalila et Dimna de la même année, marquent l’étape suivante de l’évolution de la peinture de Hérat. Les miniatures du Chahname occupent une place importante dans l’histoire de 1’ art, car elles définissent des prototypes de scènes promises à une immense popularité - rencontre des amants dans un palais ou en plein air, audience du souverain, chasse et combat. Le miniaturiste de Hérat cherchait à offrir au spectateur une représentation digne de celle d’un metteur en scène de théâtre, et sa maîtrise était jugée en fonction du talent avec lequel il était capable de construire une action. En règle générale, le lieu où se déroule l’action principale est dépourvu d’arbres, de rochers et de personnages secondaires. Ceux-ci jouent le rôle de figurants et sont repoussés dans les marges.

Les miniatures réalisées à Hérat à cette époque se caractérisent par la richesse et le rythme de leur dessin. On peut relever les lignes répétées des silhouettes colorées, la multitude de détails de différent format et l’insistance sur quelques points d’ancrage spatial. Ce rythme commence à s’adapter au thème de chaque illustration : dans les scènes d’audience, par exemple, le dessin est ralenti, modéré, alors qu’il s’anime dans les scènes de chasse et de combat. Cette élaboration du rythme dans la miniature est l’une des plus remarquables conquêtes de l’école de Hérat au XVe siècle. Il convient également d’admirer la superbe palette, dont la richesse, la pureté et l’harmonie ne sont pas moins fascinantes que la perfection des lignes qui entourent chaque détail, l’isolent et lui assurent une certaine indépendance.

Sous la domination d’Ulugh Beg (1409-1449), un autre petit-fils de Timur, Samarcande devint elle aussi le centre d’une vie culturelle animée. Les rares œuvres du XV* siècle que Samarcande nous a laissées ne sauraient transmettre une image complète de l’évolution de la miniature dans cette ville. Elles n’en révèlent pas moins la grande qualité artistique des œuvres de cette région, leur originalité, leur exécution irréprochable et leur construction décorative particulière. Elles se caractérisent par trois éléments majeurs. Notons tout d’abord la parcimonie du remplissage spatial — un principe totalement opposé aux compositions de Hérat qui exploitaient le moindre recoin et élaboraient dans le détail et avec finesse la totalité de l’image. Elles se distinguent également par la rigueur de l’organisation et la clarté de la composition, laquelle repose sur des lignes verticales et horizontales très nettes. Enfin, les miniatures de Samarcande présentent un nombre relativement réduit de personnages ; les silhouettes sont si bien refermées sur elles-mêmes que le mouvement de leurs mains lui-même ne saurait rompre cet isolement. Toutes ces miniatures exhalent une atmosphère de tranquillité absolue, tandis que la juxtaposition de grandes taches colorées leur prête une beauté picturale des plus singulières.

Au cours de la première moitié du XVe siècle, des relations étroites se nouèrent entre les centres artistiques de Samarcande, de Chiraz et d’Hérat, ce qui suffit à expliquer les analogies qui unissent les oeuvres de ces écoles. La diversité des pays et des cultures rassemblés au sein de l’Empire timuride permit à ces écoles artistiques de découvrir des styles extrêmement variés, un atout qui allait jouer un rôle déterminant dans la brillante floraison que connut la peinture dans la seconde moitié du XVe siècle à Hérat, sous le règne du sultan Hussayn Bayqara (1468-1506).

La multiplicité des genres picturaux s’associe aux caractéristiques individuelles des artistes pour définir les miniatures réalisées à Hérat à cette époque. Un groupe de miniaturistes absolument remarquables y travailla. On peut citer les noms de Mirak, Bihzad, Khoja Muhammad, Chah Muzaffar et Qassim Ali. L’un des plus célèbres fut Kemal al-Din Bihzad, que le grand érudit suédois F. Martin a surnommé le «Raphaël oriental».

Bihzad (1460-1535) était très lié aux poètes Jami et Naway, et son œuvre reflète les efforts du cercle qu’ils constituaient pour donner de la vie quotidienne une interprétation artistique et poétique. On relève dans toutes les miniatures de Bihzad un intérêt nouveau pour l’homme et pour son existence, ainsi que la volonté de présenter celle-ci de la manière la plus exhaustive possible. Il a également élargi le cadre de la représentation : l’espace limité de la miniature accueille désormais une multitude d’êtres humains parfaitement individualisés et dont l’emplacement ne doit rien au hasard ; il fait également place à des éléments d’architecture, à des jardins, des ruisseaux, des réservoirs d’eau et des paysages de montagne. Bihzad crée un rapport idéal entre tous les détails de la composition en les soumettant à un rythme uniforme ; il atteint à une perfection géométrique constamment présente. Il prête à l’espace représenté une profondeur et une illusion spatiale encore plus grandes que par le passé. L’architecture est plus plastique et plus variée, le décor architectural fascine par sa subtilité et par le luxe de détails, par la richesse chromatique et l’éclat de l’or, employé avec profusion. Bihzad et son cercle apprécient particulièrement les pavillons légers et les cours carrelées, séparées du jardin par une clôture en lattis rouge, percée d’une porte à sculptures ajourées. Les représentations de paysages sont dominées par des platanes au feuillage automnal ou, plus rarement, estival, par des cyprès élancés, des arbres en fleurs et de jeunes peupliers. On distingue souvent des souches d’arbres d’où jaillissent de nouvelles pousses, des buissons aux rameaux desséchés, de vertes prairies émaillées d’iris, de petits cours d’eau aux berges couvertes de pierres sous lesquelles poussent des fleurs, des plantes à grosses feuilles et des rochers aux contours finement déchiquetés, de couleurs différentes.

Alors que les artistes des époques antérieures n’avaient pas cherché à caractériser et à différencier les figures, l’école de Hérat franchit un pas en ce sens dans la seconde moitié du XVe siècle. Bihzad s’efforçait de rendre les mouvements, les poses et les gestes, ainsi que les visages avec vie et véracité. Il réussit dans ses portraits à reproduire certains signes distinctifs tels que la complexion, la physionomie ou la pilosité, permettant ainsi au spectateur d’identifier son modèle. Il donna naissance à une galerie inédite de personnages au travail et dans leur vie quotidienne. Ses miniatures nous montrent ainsi des hommes vivant dans des yourtes, des femmes à la cuisine, des hommes qui se lavent les pieds avant d’entrer à la mosquée, des bergers jouant du pipeau, des portefaix, des ouvriers qui pétrissent l’argile, des tailleurs de pierre, des employés des bains, des bûcherons, des fossoyeurs, des dignitaires éméchés, etc. Cet artiste parvint en outre à insuffler une vie nouvelle à des types de personnages plus traditionnels. Il consacra toute sa carrière à la recherche de moyens permettant de reproduire plus fidèlement le mouvement et s’efforça de représenter correctement les proportions du corps humain. L’œuvre de Bihzad marque l’apogée de la miniature timuride. En s’appropriant les réalisations de ses prédécesseurs, il sut porter à sa perfection cette forme artistique déjà relativement développée et la conduire à un sommet nouveau. Par la perfection de leur composition, la vivacité des personnages représentés, la diversité de leur représentation et leur profondeur spirituelle, ses œuvres ne peuvent que susciter l’admiration.

Au début du XVIe siècle, le démembrement de l’Empire timuride porta de nouvelles dynasties au pouvoir : les Safavides en Perse et les Chaybanides au Ma-wara al-Nahr (c’est-à-dire en Transoxiane). Une fois de plus, les artistes durent se chercher de nouveaux mécènes, et aller s’installer dans les nouveaux centres artistiques qui se constituèrent à Tabriz et Boukhara. Mais l’art de la miniature timuride, qui devait sa qualité exceptionnelle à la fertilisation réciproque des différentes écoles et à l’apparition de nouvelles missions artistiques, survécut en influençant la miniature du XVIe siècle.